Die Bösen Wölfe mit Adam Krzeminski
Au 19ème siècle, la Pologne n'existait pas en tant qu'Etat,
elle était rayée de la carte
Une interview des jeunes reporters du Grand méchant loup avec le journaliste polonais Adam Krzeminski, grand connaisseur de l'Histoire allemande et polonaise
Où avez-vous appris l'allemand ?
À l'école. Ma famille n'est pas allemande, je n'ai pas de tante allemande, et encore moins de berger allemand !
Quand avez-vous commencé à vous intéresser à l'Allemagne ?
J'ai passé mon enfance, dans les années 50, à Breslau, Wroclaw en polonais. Là-bas, dans notre maison qui avait été occupée par des Allemands, j'ai vu des inscriptions en allemand comme « kalt », « warm » ou « Briefe ». Mon intérêt pour l'allemand provient sûrement de là. De plus, on nous a bien sûr appris à l'école que ces voisins étaient « épouvantables », et j'étais alors curieux de savoir à quel point ils étaient aussi atroces. Je me souviens que quand j'avais sept ou huit ans, ma mère m'a amené quatre revues pour enfants : l'une était russe, l'autre française, l'autre anglaise et la dernière allemande. Ma mère m'a demandé quelle langue je voulais apprendre et je lui ai répondu l'allemand. Plus tard, lors de mon examen d'entrée à l'université, la professeure m'a demandé pourquoi je voulais faire des études d'allemand. J'ai dit que je voulais connaître nos différences et nos points communs.
Et dans votre famille ? Quelle était l'image qu'on avait des Allemands ?
Au 19ème siècle, la Pologne n'existait pas en tant qu'Etat : elle avait été partagée au 18ème siècle par la Prusse, la Russie et l'Autriche. Ma famille venait de la partie russe, des environs de Varsovie. Dans la famille, quand on parlait des Allemands, c'était dans le contexte de la Seconde Guerre mondiale, donc ce n'était en aucun cas des gens sympathiques.
Et pourtant vous avez appris l'allemand.
Quand j'ai choisi l'allemand, ma mère a dit que c'était un très bon choix parce qu'on devait connaître la langue du voisin et pas celle de l'ennemi. C'est dire que mes parents n'étaient ni russophobes, ni germanophobes. Ils n'ont pas transmis la haine de leur génération à leurs enfants, et c'était la bonne chose à faire. C'était évidemment très différent à l'école ou dans les médias.
Y avait-il des préjugés polonais sur les Allemands ?
Bien sûr, les préjugés aident à connaître tout ce qui est étranger et à le comprendre. Nous communiquons par les clichés. Vous avez aussi des clichés sur nous, sur l'Amérique, sur la Chine et la Russie. Ce n'est pas méchant. Ce qui est dangereux, c'est de rester collé aux clichés.
Comment s'est développée l'image des Allemands en Pologne ?
La différence entre mon enfance et aujourd'hui est énorme. Les sondages d'opinion montrent que la sympathie pour l'Allemagne et les Allemands a considérablement augmenté. L'une des raisons de cette sympathie, c'est l'Ostpolitik [politique allemande de rapprochement avec les pays de l'Est, NDLR] - en particulier l'agenouillement de l'ancien chancelier Willy Brandt en 1970 et la reconnaissance de la frontière germano-polonaise. Ça a été un long processus de réconciliation, avec des hauts et des bas. La Pologne se libérait elle-même des anciennes peurs, dont la peur de la remise en question de ses frontières.
Il est toujours question de politique !
Qu'est-ce que c'était Solidarnosc ?
Solidarnosc était la conséquence d'une grève générale pendant l'été 1980 qui a éclaté à Gdansk sur la côte. En l'espace de trois semaines, le pays entier était paralysé. C'était la première fois que ça arrivait dans le bloc soviétique. Il y avait déjà eu des révoltes, par exemple en 1953 en Allemagne de l'Est, en 1956 en Hongrie et en 1968 en Tchécoslovaquie. Mais comme elles n'étaient pas organisées, au bout de deux jours, les chars d'assaut soviétiques intervenaient. En 1968, ce ne sont d'ailleurs pas seulement les chars soviétiques qui sont intervenus, mais aussi ceux des autres pays du bloc de l'Est qui se sont dirigés vers Prague. Il ne faut pas oublier que la Pologne était le plus grand pays du bloc soviétique. Pour la première fois, il y avait une grève générale, ce n'était pas une simple manifestation dans la rue.
Qu'est ce qui était différent des autres rébellions ?
Il y avait eu des antécédents, en tous les cas, en ce qui concerne l'organisation d'un grand mouvement. Par exemple, en 1979, la visite du Pape polonais a joué un rôle très important. Des millions de personnes ont assisté à des messes en plein air, c'était une manifestation très disciplinée. Et surtout, l'Etat n'était pas présent. Il s'était mis d'accord avec le Vatican pour que l'Eglise prenne en charge la sécurité. Les gens en Pologne avaient donc appris à s'organiser entre eux. Ça leur a servi pendant la grève de 1980.
Qu'est-ce que c'est un contre-pouvoir ?
Les membres de Solidarnosc n'étaient pas dans la clandestinité. Même si c'était interdit, ils se réunissaient publiquement dans les églises et travaillaient à des modèles alternatifs de développement de l'Etat polonais, de société, d'économie, de culture, etc. Quand Gorbatchev est arrivé au pouvoir et que lui aussi a tenu à réformer l'Union soviétique, la Pologne avait déjà élaboré de nouveaux modèles. Ça a aussi été un avantage lors des réformes dans les années 1990, après la dissolution du bloc soviétique.
Est-ce que c'était un mouvement ouvrier ?
Il n'y avait pas que des ouvriers. Ce lien entre ouvriers et intellectuels était unique. Jusqu'alors, les ouvriers et les intellectuels étaient séparés. Les intellectuels s'opposaient à la censure, ils réclamaient plus de liberté. Et avant tout, la liberté d'opinion. Les ouvriers, au contraire, voulaient de meilleures conditions de travail, de meilleurs salaires, être mieux traités. En Pologne, les deux mouvements se sont développés parallèlement, sans aucun contact entre eux.
Comment se sont-ils alors rapprochés ?
Quand la grève a commencé en 1980 à Gdansk, les ouvriers des chantiers navals ont accueilli les intellectuels venus pour les conseiller. Ces derniers leur ont dit : « Vous êtes le pouvoir, mais nous pouvons vous aider là, là et là ! Si vous acceptez notre aide, nous sommes à votre disposition. » Ils ont passé la nuit là-bas et après ça, non seulement ils étaient crédibles, mais la direction des ouvriers les a acceptés et plus tard, lors des négociations, ils en faisaient partie.
En faisiez-vous aussi partie ?
Non. Dans la rédaction, il y avait 13 membres de Solidarnosc. J'ai dit à mes collègues que j'étais aussi de leur côté mais que je voulais rester indépendant. Je n'étais ni au parti, ni à Solidarnosc, je ne faisais pas partie du syndicat, je n'étais pas dans l'association des journalistes et c'est resté ainsi jusqu'à aujourd'hui.
Que peuvent apprendre les Allemands et les Français de la Pologne ?
Il ne s'agit pas d'apprendre de la Pologne, mais d'avoir un regard différent sur l'histoire de l'Europe centrale et de l'Europe de l'Est. L'Europe, ce n'est pas seulement la France, l'Angleterre, l'Allemagne, l'Espagne, l'Italie et la Russie. Il y a d'énormes lacunes dans la compréhension de l'histoire de l'Europe de l'Est, que ce soit sur la Pologne ou la Hongrie. Cela va même jusqu'à ne vraiment rien comprendre des raisons du conflit entre l'Ukraine, la Russie et l'Occident, parce qu'on a encore et toujours une vue centrée sur l'Ouest.
Mais l'Allemagne et la Pologne se sont rapprochées, comme l'Allemagne et la France ?
Je dirais même que le rapprochement germano-polonais, le dialogue et la réconciliation ont joué un plus grand rôle pour l'Europe que le rapprochement franco-allemand. Même si on s'est bien inspiré de la relation franco-allemande : Par exemple, un des piliers de cette réconciliation a été l'Office germano-polonais pour la jeunesse et les jumelages entre villes. Mais la plus grande différence, c'est qu'il y avait une « haine héréditaire » mutuelle entre la France et l'Allemagne. Une fois, c'étaient les Prussiens qui étaient à Paris, une autre fois, c'était Napoléon et son armée à Berlin. C'est plus facile de se réconcilier quand les fardeaux sont réciproques.
Quelle est la différence avec la Pologne ?
Le problème de la Pologne, c'est qu'elle n'existait pas sur la carte jusqu'en 1918, et que par cela, l'Allemagne était le voisin occidental de la Russie. C'est beaucoup plus difficile de se mettre sur un pied d'égalité avec un voisin qui n'existait pas qu'avec un autre contre qui on a certes mené plusieurs guerres, mais qu'on voit comme un adversaire de même niveau, ou comme un voisin.
In Deutschland haben die Polen manchmal den Ruf „unehrlich“ zu sein. En Allemagne, les Polonais ont parfois la réputation d'être « malhonnêtes ».
Pourquoi ?
Jusqu'en 1918, il n'y avait pas d'Etat polonais, comme je l'ai déjà dit. La Pologne était absente. Et subitement elle était présente, mais avec de nouvelles frontières : en 1919, après la Première Guerre mondiale, la Pologne s'est « appropriée » la province de Posen, la Silésie supérieure, et le couloir de Gdansk, qui jusqu'à présent appartenait à l'Allemagne. Soudain, ce faible voisin s'avançait vers l'Ouest. Et même quand la campagne de Pologne (septembre 1939) a été perdue en quelques semaines, et que la Pologne a été occupée par l'Allemagne, les frontières ont encore été modifiées en 1945 à la fin de la guerre.
Et comment ?
La Pologne a atterri à Görlitz et à Francfort-sur-l'Oder. On peut donc dire que les Polonais nous ont volé la Silésie ; ils nous volent des voitures et ils nous prennent des emplois !
Et c'est toujours comme ça ?
J'ai l'impression que ces clichés ont diminué dans les dix dernières années. Ce qu'on appelle en allemand « Polnische Wirtschaft » (= économie polonaise) et qui est synonyme de désordre, d'incapacité à construire une société, une économie qui marche, tout cela n'est plus actuel. La Pologne est devenue plus prospère. Les blagues sur les Polonais qu'on raconte désormais aussi en Pologne, sont un pas de plus vers la normalité. On peut se permettre plus de choses qu'avant en gardant la tête haute.
Interview : Chloé, Clara, Jeanne et Leopold (Rédaction du GML )
Traduction en français : Ulysse (Rédaction du GML )
Dessins : Alina, Coralie, Dagmara, Gaia, Clara, Ingrid et Natalia (Rédaction du GML )
Photo : Grand méchant loup
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